15/10/2010

La bâtarde d’Istanbul / Elif Shafak




















La Turquie est une terre de contrastes et de paradoxes. Au jeu de la comparaison : si ce grand pays était un vin ce serait un assemblage incohérent de cépages, un coup ce serait le millésime du siècle et l’autre une vinasse juste bonne à remplir un cubi de villageoise.

Le centre névralgique de ce merveilleux pays, Istanbul organise et représente ce délicieux bordel.

Dans ces rues à même le macadam, blotti dans une couverture sans âge, un hippie se réveille difficilement de sa nuit. Il croise une femme perchée sur ces hauts talons, celle-ci court après son tram pour se rendre à son travail.

Un peu plus loin à la terrasse du café dans un nuage de fumée ocre, un kémaliste forcené disserte avec son ami le poète libertaire du bien fondé de l'indépendance de la nation face au reste du monde. Nos comparses ont l’œil humide et la parole approximative, rituellement comme dans n’importe quel troquet du monde, ils entrechoquent leurs verres ! De raki évidemment !

Ils ne sentent pas le regard sombre et indigné de la vieille dame entièrement voilée qui passe à coté d’eux.

Bienvenu au café Kundera !!!

« La bâtarde d’Istanbul » croise les destins de deux familles foncièrement différentes et pourtant si proches.

En Arizona, Rose coule des jours tranquilles. Cette américaine pure souche partage son temps, entre son mari turc Mustapha, la junk food, beaucoup de télévision et sa fille : la jeune et pétillante Armanouch. Fruit de l’union de sa mère avec un américo-arménien, Armanouch Tchakhmakhchian va souvent à San Francisco rendre visite à cette famille marquée par le génocide arménien de 1915.

A des milliers de kilomètres de là, à Istanbul vit une singulière famille, dénuée d’hommes : les Kazanci. Ce matriarcat létal se compose de la jeune et sauvage adulte Asya, de sa grand-mère et de ses tantes.

A force d’entendre parler du passé douloureux de sa famille arménienne, Armanouch se rend là où tout a commencé : Istanbul. Une fois sur place, elle est accueillie par la famille de son beau père : Mustapha Kazanci. Accompagnée d’Asya « la bâtarde », Armanouch commence alors une immersion douloureuse dans l’histoire d’un pays ô combien paradoxal !!!

Ce livre n’est pas sans rappelé « De l’autre coté », le film de Fatih Akin. Ces destins croisés où naissent les tragédies de l’existence !

J’ai beaucoup aimé ce livre, Elif Shafak manie admirablement la plume, le lecteur est accroché de façon quasi immédiate. On appréhende la dernière page car on quitte à regret une galerie de personnages hauts en couleurs.

Un bémol tout de même ! Le foisonnement narratif (parfois surréaliste) orchestré par les deux familles fait de l’ombre aux différents sujets de fond abordés : le nationalisme, le génocide arménien, l'occidentalisme, l’Islam, etc.…On aurait aimé parfois plus de profondeur et d’analyse.

Et quand on sait qu’Elif Shafak a été poursuivie en justice pour « Humiliation de l'identité turque, de la République, des institutions ou organes d'État » !!! Heureusement le procès s’est conclu sur un non lieu.

22/02/2010

Replikas - Zerre

























Un bon album ne se dévoile pas facilement, il n'est pas de ceux qui acceptent au premier soir. Avant d’éprouver son corps libidineux sur le satin rose de nos oreilles, le grand album minaude et fait durer le plaisir. Sera le bon celui qui aura la patience et l’engagement nécessaire pour déceler toute sa beauté intérieure.

Avec Replikas ce n’est plus une simple idylle que j’entretiens, on se pratique depuis quasi 6 ans, je commence à le connaître vous savez. Et puis voilà qu’un soir, « Zerre » sonne à ma porte et honte à moi j’ai eu du mal à reconnaître le nouveau né du groupe.


Une dizaine d’écoutes plus tard, ma première impression de linéarité envolée, j’admire scié le travail fait sur la production. Replikas est étonnant, la précision des riffs et l’aura esthétique des morceaux confère à l’album ce parfum d’album de la maturité.

Ici le groupe s’est passé de l’aide de l'ancien producteur Wharthon Tiers pour peaufiner ce nouvel album. Ils se sont enfermés dans une île de la mer Egée : Gokceada pour l’enregistrer, le mastering quant à lui fut à la charge de Kim Rosen (Radio 4, Franz Ferdinand, Animal Collective…) à New-York.


Saluons s'il vous plaît encore une fois le bel ouvrage, nos six prisonniers n'ont pas opté pour la solution de facilité. Fini le rock tubesque de "Avaz", "Zerre" a été travaillé d'un bloc, la pureté de ces lignes mélodiques tranche sérieusement avec l'exubérance d'autrefois, le travail studio est remarquable : un régal pour les archéologues du bruit comme moi!!!

Rappelant le travail d'orfèvre d'artistes comme Porcupine Tree, Editors ou même Sonic Youth, Replikas élimine un à un les apparats du rock, le chant par exemple ici se fait plus subtil, le sempiternelle couplet/refrain a quasi disparu. Seul rescapé du style d'antan, "bugun Varim Yarin Yokum" fait de la résistance avec son groove pop-rock britannique...


Au sein de Reverie Falls On All, Barkin Engin et Burak Tamer bâtissent des cathédrales sonores et libèrent toute la sauvagerie bruitiste dont ils sont capables. Ce projet noise a laissé des traces sur cet album, la rigueur harmonique de la production est bouleversée par d'inquiétants sons parasites ("Dulcinea").

Dire que j'ai failli passer à coté de cette beauté cachée, il serait peut-être temps que je décrasse les cages à miels, comment n'ai-je pu déceler la richesse d'un morceau comme "Gulmedigin Gunler".

Disons que ce genre d'album se consomme comme du bon vin, au début on le trouve fade mais si on le laisse décanter suffisamment, la surprise est de taille.